La plantation et la forêt

En vérité, nous, Européens du 21 e siècle, n’avons pour la plupart jamais vu de forêt, car il n’en
existe plus chez nous. Pour ces forêts secondaires étroites où nous nous baladons encore, le terme
plantation est bien plus approprié. Cette confusion sémantique conduit notre pensée dans l’erreur,
car il y a bien ici deux réalités distinctes qu’il convient de traiter séparément.

D’une part, la plantation, qui est composée d’arbres de même essence et de même âge, en rang
aligné, parsemée d’ouvertures dues à l’exploitation, qui permettent aux herbes et herbacées de
recouvrir les sols. En vérité, ces boisements se rapprochent d’un écosystème de savane, et ne
diffèrent pas dans les faits de ces plantations brésiliennes de palmiers à huile ou d’eucalyptus, que
l’on condamne si férocement (WOHLLEBEN, 2020 : 142-143 ; HALLÉ, 2021 : 23). C’est peut-être bien
que la pauvreté et l’artificialité de la plantation se perçoivent mieux lorsqu’elles subissent la
comparaison avec une forêt primaire frontalière, qui, disparue en Occident, ne peut plus servir
d’étalon à notre jugement.
Quoi qu’il en soit, si l’on veut donner une définition générale à la notion de plantation, c’est sur les
objectifs poursuivis par le gestionnaire du peuplement d’arbres qu’il faudra se concentrer. Comme
pour une plantation de choux, une plantation d’arbres cherche la rentabilité économique ; son but
est de vendre avec du bénéfice. Voilà pourquoi l’on choisit des futaies dont la régularité facilite le
travail de coupe, qu’on peuple nos boisements d’essences exotiques à la croissance accélérée,
recherchant la plus efficace, et qu’on aménage suffisamment d’espace entre les arbres pour le
passage des machines, un ensemble de mesures qui n’ont que le profit comme raison d’être, tout
comme l’on automatiserait des procédés de fabrication en usine.
D’autre part donc, nous avons la forêt. Les arbres y ont eu le temps de vieillir suffisamment pour
grandir à leur plein potentiel et recouvrir la canopée. La forêt est ainsi une zone d’ombre, ou le
manque de lumière au sol empêche les herbacées de prospérer. Les grands arbres maintiennent
l’humidité et la fraicheur dans les sous-bois. Les forêts se composent d’une grande diversité
d’essence, autoplantées, et donc en rangs dérangés, et plus proches que dans une plantation. Dans la
forêt de Bialowieza, vestige de la forêt européenne, on trouve par exemple 17 associations
forestières différentes, avec, pour chacune, des mélanges de strates végétales (GÉNOT, 2017 : 147-
148 ; HALLÉ, 2021 : 15-16).
La forêt se caractérise notamment par une dose élevée de bois mort (30m³/ha), qui constitue un très
grand nombre d’abris pour la faune et de la nourriture pour les insectes décomposeurs. Elle abrite,
en outre, un nombre bien plus important de mammifères, d’oiseaux et d’insectes que les plantations.
On y recense par exemple dix-mille espèces animales, qui dépendent en grande partie de l’obscurité
des arbres pour survivre (COCHET, 2018 : 77-78 ; HALLÉ, 2021 : 33 ; WOHLLEBEN, 2020 : 143, 213).

Bibliographie

COCHET, G., DURAND, S., Ré-ensauvageons la France, Arles : Acte Sud, 2018.
GÉNOT, J.-C., Nature : le réveil du sauvage, Paris : L’Harmattan, 2017.
HALLÉ, F., Pour une forêt primaire en Europe de l’ouest, Arles : Acte Sud, 2021.
WOHLLEBEN, P., l’homme et la nature, Paris : Les Arènes, 2020.

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